22 septembre 2011

136. Les cabris c'est fini, et Bari c'est joli

Après 12 jours de bons et loyaux services à la fromagerie calabraise, il était temps de mettre les voiles si je voulais encore fait le petit rote-tripes que j'avais prévu dans les Pouilles avant de reprendre mon avion. Non mais franchement, je me demande qui est le terminologue italophobe qui a traduit ce nom de région. Si mélodieux en Italien (Puglia, avec un « l mouillé »), et si... crasseux dans notre pas toujours si belle langue.
Première étape: Bari. Le destin est un cruel petit plaisantin: devinez à quelle heure partait le seul et unique bus de la journée? A 5h25... du matin, comme s'il avait lui aussi du fromage à faire. Le pire, c'est que j'ai failli le rater car il est parti 5mn en avance. Il n'aurait plus manqué que je me sois levée pour rien...
J'ai été récompensée de mon sacrifice par un magnifique lever de soleil sur la mer ionienne.


en direct du bus


quelques minutes plus tard...

Vous n'allez pas me croire, mais c'était mon premier (sur la mer, en tout cas). Les couchers de soleil, j'en avais presque fait une over-dose pendant mon voyage en Asie, mais dans l'autre sens, c'est pas mal non plus... voire encore mieux.
Arrivée à 9h30 à Bari, j'ai eu la journée entière pour découvrir la ville que les Calabrais, mauvaises langues, m'avaient décrite comme absolument indigne d'une visite (en un mot: moche). J'ai bien fait de ne pas les écouter: je suis tombée sous le charme.
J'ai arpenté les ruelles de la vieille ville sous une chaleur de plomb qui m'a à peine dérangée: mes 4 mois d'Asie en saison humide m'ont immunisée. Qu'est-ce qu'une chaleur sèche après ça! A la ferme tout le monde se lamentait « che calore, je meurs! » et moi: « ah bon, il fait chaud? ». Et puis qui dit chaleur dit en général ciel bleu azur: je crois que j'ai vu la ville sous son plus beau jour, j'en ai épuisé la batterie de mon appareil photo, pire qu'une Japonaise devant la Tour Eiffel. Par quoi commencer?
L'arrivée. C'est vrai que la partie nouvelle de la ville n'a rien de spécial, mais c'est la civilisation et après 2 semaines de vie villageoise voire campagnarde, ça fait du bien de la retrouver. Enfin des magasins dignes de ce nom.



arborer un sac à l'effigie de l'un des 7 nains est du dernier chic


Et puis une ville côtière sous le soleil, ça ne peut pas être complètement moche.





Donc, ce centre historique... Inutile de préciser que les Vespa et le linge suspendu y pullulent,



qu'il regorge de charmantes petites cours intérieures,



et qu'on y trouve ces petits magasins dont seule la contemplation de la vitrine vous met l'eau à la bouche.



Mais il y règne une atmosphère de grande ville bien particulière. Difficile à décrire.
Je ne sais pas si les fausses feuilles qui habillent certains balcons


Notez que la plupart des Vespa sont dotées d'une vitre protège-insectes (et vent?)




dégagent des vapeurs hallucinogènes, mais j'ai vu la Vierge, et pas qu'une seule fois. Elle vous attend au fond d'une ruelle,



vous observe du haut d'un mur,



vous guette sous des arcades...




vous surprend quand vous avez l'audace de passer la tête par une porte cochère...




Bref, elle est PARTOUT.
Je me demande si la femme aux orecchiette (littéralement: petites oreilles) ne serait pas elle aussi une de ses incarnations... Sa présence, par contre, est plus localisée, concentrée sur 2 ou 3 rues.
Assise sur une chaise, elle pétrit de la pâte à pâtes (??!) (trouvez-moi une meilleure expression) qu'elle étire en longs et fins boudins.



Elle les tranche ensuite avec son couteau avant de leur donner, en un coup de main, la forme de petites oreilles.
Un petit coup de séchage au soleil,


quelques minutes de cuisson, et hop, elles atterrissent dans mon assiette


Très bon bien sûr mais pas grande différence au goût avec des pâtes normales.


Magique.

Suite au prochain épisode... (avant Noël, c'est promis) (c'est que ça prend du temps de trier les photos) (et surtout que je suis une grosse feignasse, d'accord)

18 septembre 2011

135. Faisons chauffer nos cuissots à Morano Calabro

Je disais donc dans le dernier post que quand j'en ai encore l'énergie après ma sieste et qu'il ne fait pas trop chaud, je descends au village... pour grimper dur ensuite.



Petite visite guidée en photos. Le choix fut cornélien, puisque j'en ai fait en tout plus de 200 toutes plus belles les unes que les autres.
A mon grand tétonnement, c'est aussi classé „une dei borghi più belli d'Italia“: décidément, je suis dotée d'un 6e sens pour le choix de mes fermes. Ça n'a pas le cachet de Torre Alfina (cf posts 91 et 92): c'est plus grand (5000 habitants, quand même!! plus peuplé que Verson-city!!) et moins bien entretenu, moins propre aussi.
D'ailleurs à ce propos j'ai une anecdote qu'Alberto m'a racontée un jour qu'on allait chercher le lait. Un de ses amis de Morano était en vacances en Allemagne dans une maison de location, et a décidé d'aller faire un pique-nique en famille dans un bois. Ces gros dégoûtants, non contents de laisser leurs déchets du repas sur place, y ont aussi laissé leur sac poubelle contenant les ordures ménagères! Bien mal leur en a pris: le lendemain, les flics étaient chez eux pour leur remonter les bretelles et leur fiche une amende. Ils avaient retrouvé dans le sac poubelle une enveloppe avec l'adresse de la location!
Là je dis: bien fait (mais quand même, ils ont pas autre chose à foutre??!!) (si: mettre des amendes de 123,50 euros aux cyclistes qui grillent les feux rouges à 21h15 quand il n'y a pas un chat)
Revenons à Morano: c'est un peu crade en effet (tout étant relatif: c'est pas l'Asie non plus), mais il y a le panorama sur les montagnes roses... et ça c'est imparable.

ça vaut le coup de faire chauffer les cuissots pour voir ça.

en zoomant

On y trouve tout ce qu'on peut espérer de l'Italie rurale et même davantage. En vrac:

-les petits commerces bien du terroir




-des églises qu'on vient ouvrir spécialement pour toi



-les papis sur les bancs qui chuchotent sur ton passage



-les panneaux municipaux qui t'annoncent les décès



(excusez la transition un peu limite)

-la jeunesse du village qui te regarde comme un phénomène de foire

vue du parc qui est leur haut lieu de rassemblement. C'est autre chose que les arcades versonnaises (comprendra qui pourra).

-des ruelles pavées dans lesquelles on surprend des scènes de vie quotidienne








- un château

normand, SVP!



vu de la place de l'église

-des piments qui sèchent


-des vignes isolées



-les mamies et les commerçants qui te demandent d'où tu viens parce qu'une tête nouvelle dans le village, c'est quand même pas tous les jours
-les éclats de voix qu'on entend en passant devant les portes ouvertes: même quand ils parlent normalement, on a l'impression qu'ils s'engueulent
-la musique qui s'échappe des fenêtres: italienne dans 90% des cas
-il gelato artigianale... mamma miam!
-une variété infinie de Fiat



Moi qui ne m'intéressais pas aux voitures jusqu'ici... celles-ci me font presque autant craquer que les animaux et les petits vieux!!


le proprio m'a proposé de lui acheter sa sœur... Heureusement que je n'avais pas assez de liquide sur moi.



Si je ne m'abuse, c'est du Fiat aussi

-et... et … et, surtout, le linge étendu dans la rue entre les maisons, sur les balcons, devant les maisons. Ce n'est pas un cliché des anciens temps: c'est encore d'actualité, et pas qu'un peu. On dirait que les ménagères sont en compétition, comme si du nombre de vêtement exposés dépendait leur valeur de maîtresse de maison.



Ce que j'ai préféré, c'est ce «culottes au clair de lune », sobre mais marquant, digne d'une œuvre d'art.






Les enchères sont ouvertes.

PS: Ayé la vidéo de la traite est chargée! Retournez jeter un oeil au précédent post!

11 septembre 2011

134. De pis en pis

Giorno 6 (ellipse d'une journée parce que je n'ai rien fait de nouveau)

Ce soir, j'ai assisté à la traite automatique des brebis. après leur descente des pâturages

Un grand moment. Je n'aurais jamais pensé que ça serait si comique. Enfin... pour moi qui suis du genre à me rouler par terre si je vois quelqu'un glisser sur une peau de banane. Par groupes de 24 (sachant qu'il y en a environ 500, faites le compte des tournées), les bêlantes entrent dans la « salle de traite » en se bousculant, certaines arrivant même avec une magnifique glissade (peut-être intentionnelle, pour m'impressionner, qui sait?) sur le carrelage. Le nonno ferme la porte au nez de la 25e, qui une fois sur 2 pousse un bêlement de déception (et moi, un hurlement de rire), et une fois sur 20 se retrouve la tête coincée entre les barreaux de la porte (et là, j'ai beau compatir... je ris encore tout haut rien qu'au souvenir de ce pathétique spectacle). Une fois qu'elles sont entrées, elles se ruent sur leurs mangeoires (astuce pour les faire bien se ranger), qui bougent pour les faire reculer de 3 pas, toutes synchro, une véritable chorégraphie. Je me suis retrouvée avec 25 paires de fesses sous le nez.Et là, il s'agit de mettre la trayeuse en place sur le pis.

le nonno a le coup de main. Pas moi.

Ça fait comme un aspirateur, sauf que c'est 10 fois plus puissant, et qu'une fois sur le pis, ça presse sans pitié. J'ai fait un film: tout y est, du bêlement de la brebis refoulée aux spasmes de la trayeuse, en passant par la glissade.



Pendant mon petit stage d'observation, j'ai pu constater, non sans étonnement, qu'aucune paire de pis ne se ressemble: il y a les gros, les petits, les poilus, les gonflés, les tout raplapla, les rentrés (inversés), les scrofuleux... Tout tout tout vous saurez tout sur le pis de brebis. Il y avait aussi la chèvre au pis unique. Vous ne me croyez pas? Pisque je vous le dis!

Giorno 7, jour du seigneur

Tout étant relatif, méga grasse mat: 8 heures 15!!! Vu la chaleur, j'ai tout de suite abandonné l'idée du jogging dominical. J'ai préféré passer la matinée cloîtrée à aider la nonna à tailler en fines lamelles des aubergines à mettre à mariner en bocaux. J'ai quand même pu faire mon sport de la semaine grâce à Alberto qui m'a emmenée à la plage(Villapiana, à 30 kilomètres) l'après-midi. Non seulement j'ai vu la mer ionienne pour la première fois,

je connais une tata qui sera contente de constater que je donne une deuxième vie à son autre robe vintage (qui n'a pas intérêt à me faire le coup de l'autre)

mais je me suis baignée dans son eau limpide, sous le regard des mouettes qui venaient pêcher leur pitance. Ça ne rend pas bien sur la photo, mais l'azur de la mer est vraiment unique. Je dis ça en connaissance de cause, parce que j'en ai vu, des belles plages, pendant mes derniers voyage... Bon, c'était peut-être aussi l'effet pré-coucher de soleil, qui donne une luminosité particulière. Il n'y a peut-être pas de sable fin, mais des rochers avec lesquels on peut faire des tours (ou jouer au Badaboum: si vous ne connaissez pas ce jeu qui a chamboulé mon enfance, oubliez): encore mieux.

Giorno 11

La vie suit son cours, une routine s'instaure. Je pouponne un peu avec le bébé de Giuseppe, mon italien s'améliore de jour en jour, le vocabulaire du nettoyage n'a plus aucun secret pour moi(chiffon, balai, serpillère, lessive, tablier... mon „vocabulaire de l'italien moderne“ acheté il y a 10 ans me sert enfin!!) et je suis devenue la reine du frottage et retournage de fromage.

ils tremblent tous en me voyant arriver avec mes chiffons

Quand il ne fait pas trop chaud (ou que je ne passe pas mon après-midi à faire la sieste), je pousse jusqu'au village à bicyclette (je développerai dans un post ultérieur). Enfin bref, il fait bon vivre ici. J'aurais d'ailleurs pu y rester toute ma vie si j'avais voulu. La nonna avait déjà pour moi des plans d'avenir: « Tu pourrais épouser mon fils aîné et vivre dans la maison familiale avec lui ». Il est temps de lever le camp avant que ça ne devienne critique.

06 septembre 2011

133. Ricottera bien qui ricottera le dernier

Giorno 4

Se lever à 4h30... avant même le soleil... pas de quoi en faire un fromage, diraient certains lève-tôt.
Eh bien si justement, et pas qu'un seul. On en a fait pas moins de 300 (chiffre plus qu'approximatif), et 4 sortes différentes. Même si je suis littéralement épuisée, je ne regrette en rien mon sacrifice de pourtant précieuses heures de sommeil.
Bon alors, comment ça marche?
D'abord, on pasteurise les 300 litres de lait (chèvre et brebis mélangés) à 60 degrés -dans une machine à vapeur si j'ai bien compris-,

que voici

on les laisse refroidir à 35 degrés, on y met le ferment

importé de France SVP! On n'utilise pas le même pour le fromage dur (type pecorino) et le fromage mou (type tomme de Savoie)

et la présure
désolée pour les végétariens: c'est fait avec de l'estomac de bovins. Ceci dit il en existe aussi de la végétale.

et on laisse reposer 20 minutes le temps que ça caille...

et la felciatta è già pronta! Ce fromage frais tout lisse, qui tire son nom de la fougère (felce) qui décore et donne de l'arôme, n'a pas un goût très prononcé mais c'est très fin (d'aucuns -comme moi qui me suis enfilé la barquette d'un coup, par exemple- ajouteraient que ça se mange sans faim).


Giuseppe remplit les petites barquettes pendant que Pina découpe la fougère


Ensuite, on mélange ce qui reste dans le chaudron

du coup c'est foutu pour l'aspect lisse

et on peut commencer la fabrication du fromage à pâte dure.

On verse tout ça dans des moules à trous


Si on le mange sans attendre (vous vous doutez bien que j'ai essayé), ça donne plus ou moins de la faisselle.

puis on met les fromages nouveaux-nés à égoutter/sécher dans une machine, et il ne leur reste plus qu'à apprendre à flotter

dans un bain d'eau salée

et à s'affiner quelques mois dans la salle réfrigérée.

Celle-là même où je passe une partie de la matinée à astiquer des fromages, qui en sont à différents stades de maturation.

Avec le lait du deuxième chaudron (ferments blancs), on fait la même chose sauf que le résultat est un fromage à pâte molle.

La ricotta est faite avec le petit lait qui reste de la fabrication de tous ces fromages, en fait! Lait qui est recuit... d'où le nom!! (traduction littérale: la recuite). Je me coucherai moins bête ce soir. On y ajoute quelques litres de lait cru. Je ne sais pas si c'est seulement dans la région, mais on y trempe des branches de figuier en guise de présure (et peut-être aussi pour donner un petit goût).

On enchaîne avec un atelier fermage-découpage-collage: après que Pina a fermé hermétiquement les faisselles avec la machine à plastique, je découpe ce qui reste autour et colle l'étiquette avec la date de péremption.

Pour terminer (last but not least!), nettoyage en grand, alors que Giuseppe se dépêche d'aller livrer la Petite Fougère et la Recuite aux épiceries.

Enfin voilà... je suis bien contente d'avoir vu tout ça... je me livrerais bien à des petites expériences dans ma cuisine! Quand on voit à quelle vitesse caille le lait, ça encourage...


Sinon j'ai fait connaissance de toute la famille, qui n'habite pas bien loin. La seule fille de la famille (sœur de Giuseppe et Alberto, vous suivez?) a émigré dans les Pouilles (3 heures de route: pire que l'exil) pour y suivre son mari(rencontré pendant ses études de médecine), au grand dam de la nonna qui l'aurait bien gardée près d'elle: une si brave fille! Elle n'aurait pourtant eu aucun mal à trouver mari au village! En contrepartie, elle revient au bercail dès qu'elle a des congés, en ce moment par exemple.
Il y a de quoi s'y perdre dans la généalogie mais je fais de mon mieux pour m'y retrouver, sachant qu'il y a 2 Alfredo et 2 Maria puisque la coutume ici est de baptiser les petits-enfants premiers nés comme les grands-parents (un signe de respect, mais surtout une source de confusion, à mon humble avis)...
Pour corser le tout, il y des décalages de générations, l'arrière-nonna ayant eu son dernier enfant à 50 ans: résultat, la nièce de la nonna est plus jeune que moi (il n'y a pas de mal, diront certaines mauvaises langues).
C'est non sans étonnement que j'ai appris que Pina (la femme qui travaille avec nous à la fromagerie le matin) est aussi partie intégrante de la famille, puisqu'elle a épousé... le petit frère de la nonna (le petit dernier évoqué un peu plus haut), ce qui en fait (si mon raisonnement est bon)... sa belle-soeur.
Et ce n'est pas fini: dans la langue italienne, on utilise le même mot pour petits-enfants et neveux...
Mamma mia. Ils en font exprès.